2015-06-15

M _ Marie


Marie mon arrière-grand-mère était épouse de marin. 
J'imagine qu'elle  pourrait me dire ce qui suit :

Ma chère arrière-petite-fille,

Tu dis que tu ne peux rien écrire sur moi, puisque tu ne me connais pas. Pourtant tu sais déjà l’essentiel de ma vie, vécue  à Marseille 73 ans et huit mois.
Tu as trouvé mon acte de naissance, le 27 août 1843; mes parents, Toussaint Nicolas et Rose Deleurye, habitaient au n°2 rue des Consuls, à Marseille.


Ouvre la mallette de ton grand-père Marius,

regarde ce qu’il a noté au verso de cette photo : 

« souvenir de ma mère »



Et sur cette photo, ne me reconnais-tu pas ? 



Tu vois ma signature, le jour de mon mariage avec Bruno.

C’était le 27 janvier 1881,
je n’étais plus très jeune j’avais trente-sept ans. 
Bruno, âgé de cinquante-cinq ans, était veuf avec deux enfants : Baptistin vingt ans et Marie onze ans.  
Un an après, le 30 janvier 1882, Marius est né, et Joseph le 6 novembre 1883. Nous habitions 45 rue Hoche, à Marseille.

Je crois savoir que tu ne possèdes plus la bague qui était la mienne. Tu as pleuré le jour où on te l’a dérobée. A présent, tu devrais prendre en considération certains de nos objets qui sont dans ta maison. Demande-toi d’où ils proviennent.

Le service à thé * que Bruno m’a rapporté de Chine ? Tu en parlais dans ce dernier article. Tu lui attribues plus de valeur qu’il n’en a, il est tout ébréché, ta grand-mère a cassé plusieurs tasses.

Ce n’était pas facile d’être l’épouse de Bruno, tu le sais, un capitaine au long cours est absent longtemps. Il faudra que tu continues à retracer ses voyages en mer… Femme de marin, je devais m’occuper de la maison et des enfants, et lorsqu’il était de retour, il rapportait des cadeaux mais il fallait s’habituer à vivre avec lui, Nous avons eu treize ans de vie commune. Quand il est mort, nos fils avaient dix ans et douze ans, j’ai dû les élever seule, ils sont été des marins comme leur père le souhaitait. Baptistin et Marie nous ont aidés, ils sont restés très liés à leurs jeunes demi-frères.

Ouvre donc l’armoire à linge, 
regarde le monogramme que j’ai brodé au point de croix sur les serviettes, lorsque je confectionnais le trousseau de Marius.
Utilisez-vous encore nos draps ? 
Sa femme, Françoise n’a pas eu le temps de les user, elle était malade et elle est morte. 

En août 1914 la guerre a éclaté, mes deux fils ont été envoyés pour se battre en Allemagne, puis sur le Front d’Orient. Tu imagines mon inquiétude ! Marius a échappé plusieurs fois à la mort. Il nous racontait sa vie de soldat dans les lettres qu’il m’envoyait. Quel bon garçon, si courageux !
J’ai été tellement soulagée lorsqu’il est rentré pour sa convalescence, en juillet 1915. Marius s’est fiancé avec Rose et il a ainsi pu surmonter sa tristesse qui ne le quittait pas depuis la mort de Françoise.
Joseph vient de se marier, c’était le dernier jour de cette année 1916, je ne souhaite qu’une chose : être encore là pour le mariage de Marius avec Rose.
J’espère que la guerre se terminera bientôt, mais je ne sais pas si je serai encore en vie. 

Pense à moi de temps en temps !
Bien à toi,
Ton aïeule

Marie Augustine Rose Nicolas

7 commentaires:

  1. Très belle lettre émouvante et bien écrite ! Je l'imaginais en train de vous écrire cette lettre en lisant votre article !

    Bonne journée

    Eline

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  2. Je suppose qu'être femme de marin devait être bien difficile... Vivre dans l'attente...
    Merci pour le partage de ce bel hommage rendu à votre aïeule !

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  3. Bravo , votre lettre est émouvante,on y croit vraiment !

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  4. C'est une bonne idée d'avoir imaginé cette lettre de votre aïeule. Pour preuve que la généalogie, ce ne sont pas que des dates, mais aussi des efforts pour mieux comprendre et faire revivre nos ancêtres. Un très joli billet.

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  5. Quelle magnifique idée cette lettre. C'est très émouvant et prenant, on a envie que votre ancêtre continue de nous confier quelques bribes de sa vie. Bravo

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  6. Bravo pour ta façon émouvante de parler de la vie de ton arrière-grand-mère et de tous ces objets qui sont passés de générations en générations (quelle chance d'en posséder encore !...) : ton style rend le texte très vivant et poignant !

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