2016-08-26

Magdelaine, jeune veuve en 1766

Dans l’article précédent, nous avons été témoins des dernières volontés de Jean Audibert qui est décédé le 17 juin 1766.
On trouve dans ce même registre plusieurs actes témoignant des affaires que sa veuve a dû gérer, elle est toute jeune, elle a 25 ans et vit loin de sa famille qui demeure de l’autre coté de la Durance à Grambois en Luberon.

Laissons Magdelaine montrer comment elle se débrouille au cours des premières semaines de son veuvage. C'était il y a exactement 250 ans. 


- Ma chère Magdelaine,j'ai raconté plusieurs épisodes de ta vie et les lecteurs de ce blog me demandent de tes nouvelles pour le #RDVAncestral.
Comment s'est passé cet automne 1766 ?

Je devais être courageuse c’est ce que tout le monde me disait. Jean est parti si vite, cinq années de mariage et la mort l’a emporté en quelques jours. Dans ses dernières heures, il m’a demandé de bien m’occuper de nos petits, il m’a fait ses recommandations, me disant qu’il avait confiance en moi.
Je ne suis pas aussi instruite que mon mari, je ne sais pas écrire, ni signer, mais il fallait que je sache compter et m’organiser pour survivre et élever nos trois enfants.
J’ai passé plusieurs actes dont j’avais besoin, ils sont écrits dans les registres de maître Bon et de maître Jauffret.


Le jour de 4 septembre 1766 où je suis allé céder la ferme de droit de fournage, j’étais accompagnée « avec l’assistance et authorization et du consentement exprès de François  Allier, mon père ».

Vous croyiez que la femme demeure une éternelle mineure n’ayant pas la gestion de ses biens, ni la tutelle de ses enfants. Et bien… mon défunt mari m’a « nommée tutrisse et administaraisse » ainsi que le notaire en a fait lecture le 13 septembre. Pour l’insinuation du testament, il a fallu payer 52 livres 14 sols et 11 deniers.

 oliviers et amandiers 
Le 16 septembre j’ai donné un bail à mégerie, pour quatre années, de trois terrains que notre famille possède.
Une mégerie (miège signifie demi), c’est un bail à moitié, dans lequel on partage les récoltes en échange des soins des cultures. Chacun y trouve son compte, pour moi je ne vais pas travailler sur les terres puisque je dois m’occuper des enfants et de l’auberge. Cela m’enlève un souci car je ne puis émonder les oliviers tailler la vigne, récolter les amandes et les olives... et les gerbes que ledit Gillet s’oblige de charier le tout et fouler à ses frais et dépens.

Bail à mégerie 16/9/1766
et quant aux gueres consistant en la terre dit de la Condaminée guerée de deux railles, les deux autres terres en restouble qu’il le sont a la fin de la megerie ledit Gillet s’oblige de laisser dans le meme etat qui les trouve  
Vous savez que la terre doit se reposer, ainsi les terres moissonnées sont laissées en chaume dits restouble. Le guéret est la terre labourée qui doit rester en jachère partiellement, on n’ensemence que deux railles.
Et quant aux fumiers les parties ont convenu d’y mettre auxdites terres la moitié chacun de son chef . Et la semence pour ensemencer elle sera fournie par egalle part par chacun de nous. 

Ce terrain des Condamines, Jean venait de l’acquérir en septembre de l’année précédente. L’acte d’achept est dans le même registre. Antoine Berne, le vendeur avait besoin d’argent pour la dot de sa fille Françoise. Il reçoit 10 livres le jour de la signature et les 150 livres restantes sont payées par l’acheteur en un parts de mariage. Jean pouvait ainsi agrandir sa propriété qui confronte celle-ci au levant.


A la fin de l’été, ce n’est pas encore la période pour cueillir les olives et les vendre au moulin à huile.
 En attendant, il a fallu faire rentrer de l’argent. J’ai emprunté 169 livres à Guillaume Hugou, le maître cordonnier, un ami qui était présent au chevet de Jean. Au titre de cette amitié il a eu la gentillesse de me prêter sans intérêts, je lui rendrai en septembre de l’an prochain. Pour écrire cette reconnaissance de debte,  le 8 octobre, le notaire, Maitre Bon s’est cru obligé de préciser qu’il est venu « dans la maison où elle habite attendu son infirmité ». Je n’ai pas osé lui dire que ce n’est pas une maladie que d’être enceinte.

L'an mille sept cent soixante six au mois d'octobre,  sépulture, baptême
Le 12 octobre, on a enterré ma belle-sœur. Magdelaine Maillet épouse Audibert, nous sommes quasi homonymes et cela me gène un peu. Je ne suis pas allée au cimetière, je me sentais trop lasse.
Jean François est né le lendemain, lundi 13 octobre. J’aurais tellement voulu que ce petit connaisse son père. Je vais le chérir beaucoup ce petit orphelin qui porte son prénom. Si c’était une fille, elle se serait appelée Françoise pour remplacer mon deuxième bébé qui a vécu si peu de temps.

Ma sœur Marguerite est venue  m’aider, j’ai vraiment apprécié sa présence, je lui ai demandé d’être la marraine de mon bébé.

Quittance, le 14/10/1766
Ah, les méchants, j’en suis encore toute retournée ! Mes neveux se sont empressés de venir me voir. Même le notaire et les deux témoins ont pensé que je méritais plus d’égards « attendu mon incommodité ». Ce n’était pas une visite pour souhaiter la bienvenue à mon pitchoun qu’ils m’ont faite ce 14 octobre, lendemain de sa naissance.  Catherine, Rose et Joseph sont venus me réclamer « 30 livres 5 sols principal et 25 livres 14 sols trois deniers pour les insterets à quoy se montent lesdits insterets des dix sept années procedant la susdite somme de 30 l 5 sols pour le leg à eux faits ». Il s’agit de l’héritage de leur grand-mère, Françoise Gaillardon (sosa 345) que Jean aurait encaissé sans leur donner leur part. De surcroît, ces mauvais bougres ont eu le culot de demander les intérêts et même la part d’Élisabeth, leur défunte sœur. C’était une faute de Jean de n’avoir pas payé cela plus tôt, mais franchement était-ce bien le jour de me réveiller alors que j’ai tant besoin de repos ! et leur pauvre mère morte depuis dimanche aurait eu plus d’égards pour nous.
Ils s’en sont retournés et « sont comme contents et satisfaits ont tenu et tiennent quitte ladite delle Allié »

Source des actes : AD 83, registres de notaires 3E14 475
Bibliographie
Thérèse Sclafert, Usages agraires dans les régions provençales avant le XVIIIe siècle. Les assolements

2016-08-19

En 1766 Jean Audibert dicte son testament

A la recherche du testament de Jean Audibert, depuis l’an dernier, je consulte les registres des notaires et découvre que notre aïeul (sosa 172) a laissé beaucoup de traces.
Son décès m’a attristée et j’ai essayé d’en connaître les circonstances.
Aurait-il fait un testament ?
Dans le registre du notaire Pourcelly 3E14 502 c’est une déception, malgré la fourchette de dates (1765-1771) il n’y a pas de testament. J’ai pourtant regardé tous les folios avec un grand espoir. Je me résous à rentrer bredouille ; néanmoins, j’ai photographié un certain nombre de feuillets concernant des actes passés par d’autres de mes ancêtres. Il se trouve même le début d’une page concernant la veuve de Jean Audibert, Magdelaine Allier. Je raconte cette découverte inattendue dans l’histoire du Four à pain. Lorsque je réussis à obtenir l’intégralité du document, j’ai la confirmation de l’existence d’un testament aves les précisions sur la date et surtout le nom du notaire, Maître Bon.
D’ailleurs, j’aurais pu trouver ces renseignements dans la table des testaments que les AD du Var ont mis en ligne dans les Archives du contrôle des actes et de l’administration de l’Enregistrement.

Jean Audibert, hôte à St-Julien, âgé de 54 ans, est décédé le 17 juin 1766.

Cette année, munie des cotes, je me rends une nouvelle fois aux AD de Draguignan.
Avant de lire ce fameux testament, je tourne les pages du registre avec intérêt.
Je photographie plusieurs actes que je ne prends guère le temps de lire, tant je suis impatiente d’atteindre ce que je cherche.
Il s’avère que cette lecture sera intéressante pour rencontrer d’autres personnes du village, des ancêtres et leurs voisins.

Le voilà le testament nuncupatif de Jean Audibert, fait le 15 juin 1766 ;
le testateur est mort deux jours plus tard.


Que m’apprend-il ?
Jean n’est pas décédé de mort violente, ce n’était pas un accident comme je le supposais.
« lequel de son gré quoyque detenu dans son lit malade de maladie corporelle sain pourtant de sens ferme parolle ouïe vue et connoissance a resolu de faire son dernier et vallable testament nuncupatif et ordonnance de derniere vollonté»
Dans la chambre du mourant, parmi les témoins se trouvent trois prêtres, un chirurgien, un notable et quatre artisans. C’est dire comme l’heure est grave, le malade a conscience que la fin est imminente. Il a recommandé son âme à Dieu, ordonné ses funérailles et  demandé que « luy soit dit douze messes basses de requiem ». 

Jean a pris ses dispositions pour l’avenir de sa famille.
C’est Jean Joseph Audibert qu’il institue comme son héritier. Son petit garçon est âgé de quatre ans. La trace de celui-ci se perd, il semble qu’il vive ensuite à Marseille …
En attendant la majorité de son fils aîné, Jean « a légué et lègue touts les fruits et usufruits de tout son bien et héritage à Magdelaine Allié son épouse ».
Elle est chargée de nourrir et entretenir leurs enfants jusqu’à l’âge de 25 ans. Leur fille Cécile recevra 1000 livres lorsqu’elle s’établira.
Mais il n’oublie pas cet « héritier posthume qui naîtra de la grossesse de Magdelaine ». En effet, Jean François Marcel (sosa 86) viendra au monde quatre mois plus tard. C’est lui qui tiendra l’auberge de ses ancêtres.
Jean avait prévu que son fils aîné s’occupe de sa mère… mais je crois qu’elle a habité dans notre maison avec Jean François et qu’elle allait souvent chez sa fille Cécile à Barjols où elle est décédée.
Alors  que ses dernières volontés sont rédigées et que tous s’apprêtent à signer, Jean pense qu’il doit ajouter encore ces précisions « et avant signé led[it]testateur dans le cas où à la majorité accomplie de sond[it] héritier iceluy viendroit à se separé de lad[it]e Magdne Allié, il oblige sond[it] héritier de lui donner une chambre garnie suivant son état, soit dans la maison ou ailleurs à la lad [it]e Allié sa mère pour en jouir sa vie durant » 
On voit que cet homme estimait sa femme, par lui «  nommée tutrisse et administaraisse » « sans qu’elle soit obligée de rendre aucun compte à ses enfants » 
« et luy a de plus legué à lad[it]e Magdne Allié ususfruit et jouissance d’une terre qu’il possède en ce terroir quartier des Condamines la vie durant» Mais regardons la précision qui suit : « toutes fois en gardant l’etat vidual ». 

Magdelaine avait 25 ans, elle ne s'est pas remariée.

Comparons la signature d’un homme en pleine forme quelques mois auparavant


et sa dernière signature le 15 juin 1766


Jean « a élu sa sépulture dans celle de feu son père » il repose à Saint-Julien. Ses confrères Pénitents blancs vont s’occuper des funérailles.

2016-08-05

Barjols, 1827, Gertrude et sa cousine Claire Marie

Coule l'eau des fontaines à Barjols



Le billet précédent illustrait l’intérêt de feuilleter les pages des registres BMS de Barjols pour retracer la vie de la famille de Cécile. Même si ce n’était pas mon projet d’étudier cette famille, issue de la sœur de mon ancêtre, cela m’a permis de comprendre les alliances et les événements qui ont constitué notre famille. J’étais à la recherche de la branche native de Barjols, dans la forêt de mes ancêtres Fave qui me pose problème, car c’est un patronyme répandu dans un bourg voisin que je ne fréquentais guère. J’ai tourné quantité de pages de registres où j’ai trouvé beaucoup d’autres informations que celles que je cherchais.


On peut se demander quel est le lien entre cette tante et sa nièce, chacune d’elle ayant épousé un boulanger de Barjols, mais poser la question c’est déjà avoir en partie la réponse.

Donc Claire Marie Audibert (sosa 43) se marie en 1820 avec Marcel Fave (sosa 42) boulanger à Barjols. Sa tante Cécile, femme de boulanger a arrangé les épousailles, en accord avec sa belle-sœur Thérèse, je pense qu’elles s’entendaient bien.
Cécile, elle-même fille d’aubergiste à St-Julien avait épousé en 1785 un boulanger de Barjols, sa nièce Claire Marie suit exactement le même parcours en 1820, mais son mari viendra s’établir à Saint-Julien. Ils marieront une de leurs filles, Joséphine Claire, à Polyeucte Rodolphe Payan fabricant tanneur, la tannerie était prospère à Barjols.

Voilà une explication totalement plausible qui pourrait suffire pour expliquer les choix de conjoints.

Où l’arbre croît, se croise, et se complexifie 

pour devenir encore plus intéressant

au clic pour agrandir

Lorsque je consulte un registre je note soigneusement les personnes qui peuvent se rattacher aux arbres. Les liens s’avèrent surprenants, voyez ce que nous apprend l’acte de mariage de Gertrude, la fille de Cécile, cousine de Claire Marie. En 1827, elle épouse Jean Antoine Faubert.

Ce nom m’interpelle car un certain Antoine Faubert, fils de sieur Jean Antoine Faubert, aubergiste à Barjols, second mari d’Anne Simon, la grand-mère de Joseph Fave, apporte par procuration le consentement de cette ayeule au mariage de Claire Marie et de Joseph Fave.
Jean Antoine Faubert est un personnage intéressant, il mérite que je passe la soirée à me perdre dans sa généalogie qui n’est pas la mienne.
Il se trouve qu’il est le parrain de Toussaint Antoine fils de Pierre Claude Bagarry (sosa 170) et d’Anne Simon (sosa 171) . Donc, Anne a épousé le parrain de son fils.
J’ai constaté que dans certaines branches les veuves et les veufs se remarient plusieurs fois, avec des conjoints dans la même situation ; ils ont en outre des enfants qui deviennent veufs et se remarient etc.  Cette situation produit des arbres complexes mais passionnants. Ce cas, inexistant dans de longues lignées, apparaît de manière récurrente dans d’autres. On pourrait approfondir les hypothèses dans le champ de la psychogénéalogie...

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Examinons l’arbre qui s’accroche à celui de ma vieille ancêtre Anne Simon (sosa 171). Elle avait déjà épousé un veuf en premières noces, la voici ensuite marié avec un double veuf. (Cet arbre ne montre que les individus que j’ai rencontrés, il y a sûrement d’autres enfants.)
Jean Antoine Faubert qui exerce les métiers d’aubergiste, de cuisinier, de traiteur, selon les époques, est le fils d’Antoine Faubert muletier. Aubergiste et muletiers sont des professions qui s’associent souvent.
Jean Antoine Faubert s’est marié trois fois, il est le père de deux fils nommés … Jean Antoine Faubert. Celui qui est né en 1802 a épousé Gertrude Burle, il est aubergiste.
Gertrude accouche le 8 octobre 1829 d’un enfant mort-né. Quelques jours plus tard, le 23 octobre, la voilà veuve. Qu’est-il arrivé à mari qui est mort là ?

 Gertrude épousera un autre aubergiste, sept ans plus tard.